Globalement, mes souvenirs de collège et de lycée ne sont pas très bons. Dans mes pires cauchemars, ça ressemble à une gigantesque chasse au sorcière où des hordes de filles en pleine puberté me jettent des insultes au visage pour des raisons ubesques. J’ai tellement entendu le mot « allumeuse » que j’avais même pris le parti d’en rire, une année, et que je m’étais déguisée en boîte d’allumettes géante pour le carnaval du collège.
Au lycée, je me suis cachée. J’avais pour défi secret de lire chaque livre du CDI au moins une fois et, peut-être à cause de Lolita que j’ai du lire 4 fois, je n’y suis pas arrivée. Ça n’a pas suffi pour faire taire le bruit des filles et puis de toute façon je suis tombée amoureuse. Une histoire tumultueuse et compliquée comme j’en rêvais depuis des années.
Globalement, toutes ces années, je me suis demandée « est-ce que tu allumes ? ». Objectivement et avec le recul, je dirais que non. Comme toutes les autres filles de mon âge, j’ai testé ma séduction. J’ai mis un peu de rouge à lèvres et j’ai porté des talons. J’ai vu L’amant de Jean-Jacques Annaud et dévoré tout Duras pour parfaire mon éducation sexuelle. Est-ce que ça faisait de moi une allumeuse ? Je ne crois pas.
C’est de la part des filles que j’entendais ça. « Tu es une allumeuse ». « Avec ton regard de pute, tu as récupéré le numéro de téléphone de Guillaume alors que Virginie voulait sortir avec lui ». « Arrête avec ton rire de pute ».
Mon rire de gorge. Un truc qu’on avait lu dans une quelconque chick litt encore. Un rire spécifique que fait la femelle quand elle veut mettre l’homme dans son lit. Un signal. Un signal sexuel en plus.
Je n’ai pas arrêté de rire mais j’ai veillé longtemps à ne plus rire comme ça (en sachant que quand ça m’arrive, il y a plus de 99% de chances que je ne veuille mettre personne dans mon lit). C’est devenu un réflexe.
Je me souviens des punitions. De ces mecs qui à cause d’un refus me laissaient à la vindicte populaire. D’autres qui, parce qu’ils n’arrivaient pas à demander, avaient des réactions étranges et disproportionnés (comme ce garçon au lycée qui avait collé ma tête au trottoir « pour faire comme dans American History X » pour signifier le fait que, dans le fond, je lui plaisais).
Finalement, j’ai longtemps eu peur de plaire. Surtout parce que j’avais peur de déplaire aux autres filles (puis femmes). Pour l’avoir connu, il n’y a rien de pire qu’une horde de femmes déchaînées prête à déverser sa haine sur vous.
Et je ne le cache pas, de par mon expérience, les femmes me font plus peur que les hommes. J’ai pourtant souffert à cause des hommes. J’ai souffert physiquement, psychologiquement et émotionnellement. Mais je m’en suis remise (même s’il reste quelques tocs et quelques angoisses). En ce qui concerne les femmes, leurs humiliations, leurs brimades, leurs insultes, la mise à l’écart, je ne m’en suis jamais remise. J’ai toujours peur. Peur des groupes de filles. Peur des codes, de dire ce qu’il ne faut pas dire, d’être ou de faire ce qu’il ne faut pas. Peur d’être jugée parce que ça m’arrive de ne pas porter de soutien-gorge (c’est confortable et je peux me le permettre). Peur d’être jugée parce que je parle librement de sexe.
C’est cette peur qui m’a éloignée du féminisme pendant des années. Non pas que je n’étais pas féministe au fond de moi-même. Mais j’avais peur de ce que les féministes pourraient penser de moi. Une femme qui se marie plusieurs fois, qui met du rouge à lèvres et parfois pas de soutien-gorge. Une femme qui veut être libre de parler, de penser, de faire et de séduire même.
Et puis, j’ai eu une fille. Et j’ai eu peur de lui transmettre cette peur des femmes, qu’elle fasse partie de celles qui se font rejeter du groupe ou de celles qui oppriment. J’ai pris le temps de réfléchir. Je suis assez vieille maintenant pour faire ce que je veux. Pour ne plus avoir envie d’appartenir à un groupe précis. Pour ne plus me conformer à des codes qui ne me conviennent pas. Doucement, je reprends possession de moi, de mon identité propre. Celle qui n’est dictée ni par ce que les hommes attendent de moi ni par ce que les femmes voudraient que je sois.
J’ai accepté qu’il y ait des ratés de communication et que les gens se fassent parfois une image fausse de moi. Tout simplement.
Aujourd’hui, j’ai moins peur. Parce que je me suis éloignée de tout ça. Parce que j’ai compris que c’était une réaction de défense et d’auto-censure dans une société masculine et patriarcale. J’ai pardonné aussi. Je rencontre et j’échange avec des femmes. Je nous mets sur un point d’égalité même. C’est une évolution positive et j’y travaille chaque jour. Plus de 10 ans après, il me reste encore du chemin à faire.
EDIT : Je viens de publier cet article et je vois vos réactions (réactions qui me terrorisaient à l’avance). Je viens de penser que si je me souviens parfaitement de mots et de gestes, du nom et du visage de ces gens, ceux-ci ont certainement occulté la violence psychologique qu’ils m’ont fait subir (qu’y a t-il de mal à surnommer quelqu’un « pupute » et à l’objectifier au quotidien autour de ce surnom ?). Ils ont une vie bien rangée maintenant. Peut-être même que certains sont « des gens bien ». Moi, je n’ai pas oublié et ce texte raconte ma réalité. Vous vous demandez aussi peut-être pourquoi je n’ai pas réagi à l’époque. La réponse est simple : j’avais peur d’être mise hors du groupe et j’étais conditionnée. L’allumeuse, la « pupute », c’était mon rôle social dans le groupe et je n’avais pas la maturité et le recul pour le questionner.