Depuis ma naissance, je pense, je n’aime pas mon corps.
Depuis ma naissance, je n’ai eu que des problème avec ce corps.
Nourrisson, je ne m’alimentais pas correctement. J’étais donc chétive. Enfant, j’ai développé une maladie de peau qui m’a poursuivie la moitié de ma vie et qui affectait également mon appétit. J’étais maigre.
Adolescente, les maladies ont régressé mais les changements hormonaux ont engendré une prise de poids soudaine. J’ai changé de morphologie et je suis devenue grosse.
Jeune adulte, j’ai réussi à stabiliser mon poids, mais au prix d’une obsession constante de mon alimentation, excessive dans un sens comme dans l’autre.
Si mon poids a subi des variations, ma taille elle, a toujours été constante : j’ai toujours été petite, la plus petite, à la naissance, sur les courbes de croissance, en classe, dans la famille. Et la problématique du poids qui varie quand tu fais 1m50, c’est que tu n’as pas une grande marge de manoeuvre pour grossir. J’ai passé ma vie à surveiller mon alimentation, oscillant entre périodes de boulimie et d’anorexie.
Depuis mon adolescence, je n’aimais pas mon corps. Large d’épaules, de grosses fesses, des cuisses et des mollets épais et trop musclés. Je faisais beaucoup de sport. On se moquait de mon physique de catcheuse naine (ouais les ados sont adorables entre eux !). On se moquait aussi de ma pilosité, parce qu’à 12 ans, je n’avais pas envie d’enlever les trois poils que j’avais sur les jambes. Mais j’ai fini par céder pour éviter les quolibets du genre « pattes de sanglier » dont on m’affublait. On se moquait également de mes lunettes, de mes dents du bonheur et trop longues (?), puis de mon appareil dentaire… quand ce n’était pas de mes vêtements (bon ok, on n’a pas toujours de bons goûts à 14 ans !). Longtemps, je ne me suis pas aimée, longtemps j’ai eu cette image en tête, de cette fille petite, grosse et plutôt laide. Après l’adolescence, j’ai commencé à apprécier mon visage, surtout quand mes dents ont été parfaitement alignées et encore plus le jour où je suis passée aux lentilles. Enfin, j’ai appris à arranger ce visage, j’ai appris à le maquiller, à le mettre en valeur. Mais j’ai continué à détester mon corps, mes bras courts et épais, mes épaules de nageuse est-allemande, mes mollets trop musclés. Je n’ai jamais aimé mes jambes.
Il a fallu que je le rencontre, qu’il tombe amoureux de moi, de mon corps et qu’il me vante combien il trouvait mes jambes belles et parfaites. Il m’a appris à me voir à travers ses yeux, il m’a appris à m’aimer. J’ai appris à apprécier mes courbes, mes hanches, mes cuisses, à aimer mes fesses, à trouver mes mollets galbés, à ne plus être complexée par mon manque de poitrine… Il me trouve belle, j’ai donc essayé de me voir telle quelle. J’ai pourtant vécu d’autres changements physiques. La grossesse, la prise et la perte de poids associées, la peau du ventre détendue, les vergetures pour cicatrices indélébiles. Il a encore fallu travailler sur ce nouveau corps, Deux fois. J’ai essayé de n’en retenir que le positif : mon corps a gagné en douceur grâce à la maternité, ses formes se sont arrondies. Je suis passée de la fille forte en muscle à la femme moelleuse.
Mais ces cinq dernières années, j’ai pris du poids. Ce n’est pas dû à mon alimentation, ni aux hormones, ni à mon hygiène de vie, mais à mon traitement antidépresseur.
J’ai perdu de la taille, j’ai pris des fesses et des cuisses, mais j’ai aussi pris des seins. J’essaie de m’en réjouir, de me voir moelleuse comme il me le dit toujours, mais je ne vois souvent que mon ventre mou. Je n’ai jamais complètement récupéré ma silhouette après mes grossesses, j’ai conservé un ventre flasque et marbré de cicatrices, et ce malgré le sport ou les régimes. Je n’aime pas ce bourrelet qui déborde de mes jupes ou de mes pantalons, je n’aime pas qu’il soit moulé dans un tee-shirt ou une robe. Lorsque j’ai découvert l’effeuillage burlesque, je ne savais pas que je monterais un jour sur scène, je voulais avant-tout me réapproprier mon corps, accepter ce nouveau physique, être à l’aise avec. Cette activité m’a aidé a me détacher de l’image stéréotypée des femmes de notre société, à comprendre que la norme n’est pas celle des magazines mais que les corps des femmes sont tous bels et bien différents. Aujourd’hui, je me mets nue devant des spectateurs, j’assume parfaitement mon corps sur scène, je montre à quel point je suis à l’aise avec celui-ci, dans toute son imperfection… et pourtant, cela ne m’empêche pas de toujours et encore détester mon ventre. Alors je m’oblige à ne pas me censurer, à assumer les photos les moins valorisantes, à mettre en ligne des vidéos pas forcément avantageuses. Si c’est pour m’obliger à m’accepter telle que je suis, cette démarche est également pour montrer à tous et toutes que le corps d’une femme, ça ne ressemble pas à une gravure de mode photoshopée.
Je m’effeuille d’abord pour moi, par plaisir et passion mais aussi par militantisme. C’est ma contribution au combat pour la réappropriation du corps des femmes par les femmes. Pour que l’on arrête de nous dire à quoi nous devrions ressembler, comment on devrait être habillée, coiffée ou maquillée. Pour que les femmes aient le choix d’être ce qu’elles veulent, comme elles veulent. La norme est une prison, le patriarcat est son maton. J’en ai eu assez des règles qui m’imposaient une image qui n’était pas la mienne, je ne serai jamais une fille grande et mince, je ne serai jamais blonde à forte poitrine, je n’aurai jamais les yeux bleus ou verts, par contre, j’aurai toujours de la cellulite, du gras sous les bras et des rides sous les yeux… parce que tous ces détails font que je suis une femme. Et parce que les hommes aussi ont du gras, de la cellulite et des rides mais qu’on ne les fait pas autant chier avec ça, j’en veux au patriarcat qui, insidieusement, élève les filles dès leur plus jeune âge dans l’image abjecte qu’elles ne sont pas parfaites et qu’elles doivent tout faire pour l’être. Alors je monte des spectacles où les filles sont toutes différentes, grandes ou petites, rondes ou maigres, des seins en pommes ou en poires, de la cellulite et des bourrelets comme des côtes apparentes ou des genoux cagneux, des rousses, des brunes, des bleues ou des roses… nous sommes toutes des femmes et nos corps nous appartiennent.