J’ouvre une petite parenthèse féministe pour vous parler d’une anecdote vécue ce week end. Je vous parlerai de celui-ci bientôt en détail parce qu’il était génial – aller à Newcastle pour la Coupe de Monde de Rugby, j’appelle ça même SUPER GÉNIAL ! – mais je tenais à vous raconter l’ombre qui a « légèrement » noirci le tableau.
Ce week end, alors que nous étions dans un pub de Newcastle à fêter la défaite de l’Ecosse et l’élimination des anglais de cette Coupe du Monde sur leur propre terre, alors que l’esprit était bon enfant, à base de bières à foison et de kilts partout, j’ai vécu un moment de solitude. Un moment où je n’ai pas su comment réagir.
Alors que nous discutions et nous amusions avec nos nouveaux amis écossais pour la soirée et que nous en étions à faire des photos souvenirs en kilt les uns avec les autres, l’un d’entre eux a commencé à me débarder sérieusement. C’est passé du « You’re fucking hot » à « I want to fuck you tonight ». Bon admettons, il est tard, on en est à 100 litres de bières minimum, le mec est cash, pourquoi pas après tout. Je riais, les autres riaient, c’était drôlement rigolo ce gros tas de muscles en jupe qui draguait une toute petite minette. Jusqu’au moment où avant de partir, il me demande de lui faire la bise et qu’il tourne la tête au dernier moment pour me claquer un gros smack. Devant tout ses amis et devant tous les miens, il était fier comme un bar tabac, tout le monde s’est mis à rire de bon coeur à cette blague potache alors j’ai fait de même et je me suis dit « Hahaha ! Qu’est-ce qu’il est con cet écossais ! Cette blague moisie ! HAHAHA ! »
Mais en fait, pas hahaha du tout cette histoire.
Le mec m’a donc embrassé sans mon consentement. Oui, je le répète, ce mec ne m’a pas demandé l’autorisation de me claquer un smack sur la bouche.
Ça ne vous choque pas, vous trouvez ça drôle, c’était juste pour rire, une sale technique de drague vieille comme le monde, c’est pas bien grave… si c’est ce que vous pensez, figurez-vous que c’est AUSSI ce que j’ai pensé sur le coup.
J’allais faire quoi, taper un scandale devant toute l’assemblée, lui balancer ma main dans la gueule, passer pour la frenchy hystérique ? Non, je ne voulais pas faire d’esclandre, surtout en tant qu’invitée par une marque à faire ce voyage. Mais voyez-vous, ce n’est pas si simple !
Si sur le moment, j’ai bien rigolé, c’était avant-tout pour dédramatiser, ne pas me dire que ce mec avait fait une intrusion dans mon intimité, sans que je l’y aie invité.
Comme pour l’état de sidération dont j’avais parlé lors de mon agression dans un train, j’ai pas trouvé la force d’agir sur le coup, je n’ai pas su avoir la bonne gestion de son geste, je n’ai pas su dire que non, ça ne se fait pas du tout d’embrasser les filles sans leur autorisation.
Et puis je me suis dit que peut-être était-ce ma faute, mon attitude lui avait peut-être laissé penser que j’étais open, que ça ne me dérangerait pas. Peut-être que le fait que je ne sois pas timide, que je sois extravertie lui a fait croire que je n’y verrais aucun inconvénient. Peut-être que j’avais trop joué la séductrice, peut-être que j’avais carrément l’air d’une salope qu’on peut embrasser comme on veut. Je sais que je ne suis pas spécialement farouche, il m’est arrivé un grand nombre de fois d’embrasser des filles et des garçons lors de soirées, particulièrement quand elles sont bien (trop) arrosées. Mais c’était toujours moi qui en décidait ou donnait l’autorisation explicite ou implicite. De mon côté, j’ai toujours respecté l’envie de l’autre, j’ai toujours embrassé, que ce soit un smack ou un vrai baiser avec la langue, des gens qui eux aussi en avaient envie. Et je me rends compte que là, ce n’était pas le cas. Le mec n’était clairement pas au courant qu’on n’embrasse pas une fille par surprise, juste pour la « rigolade ». Encore et toujours ce problème d’éducation masculine, encore et toujours ce besoin de montrer qu’il dominait la situation. Et moi d’être sous le coup des injonctions, à accepter de ne rien dire parce que ça ne se fait pas de faire un scandale pour un petit bisou de rien du tout.
Aujourd’hui, je me collerais des baffes à n’avoir pas su réagir. Sans pour autant faire d’histoires, j’aurais pu en effet ne pas rire et lui expliquer que non, ça ne se fait pas ce qu’il venait de me faire. Mais emportée dans la soirée, les gens qui riaient de sa pseudo-blague, les regards tournés vers moi, l’heure avancée et le nombre de verres ingurgités, j’ai bien été incapable de gérer la situation comme je l’aurais souhaité. Alors que dois-je en conclure ?
D’abord que ce genre de comportement engendre une réaction de sidération normale : on ne s’attend pas à une telle intrusion, on est prise par surprise.
Ensuite, nous sommes victimes des injonctions : nous n’agissons pas parce que ce n’est pas ce qu’on attend de nous. On attend qu’on soit de gentilles petites femmes qui ferment leur gueule quand les hommes pavoisent devant les autres parce qu’ils ont réussi à voler un baiser. Des coqs dans une basse-cour. Des animaux. Aucune éducation, aucun respect du sexe opposé. Patriarcat de merde.
Enfin, on culpabilise : on se dit que c’est peut être de notre faute, qu’on a du émettre des signes signifiant qu’on était d’accord avec ce geste. On s’en prend à nous-même au lieu de s’en prendre à notre agresseur, parce que c’est toujours la faute de la femme, et ce, depuis Adam et Eve.
Oui, parce qu’au final, ce genre de comportement, c’est une agression, ce mec s’est conduit en agresseur et moi j’ai été sa victime. Certes, ça n’a pas été violent, mais faut-il attendre de la violence pour se sentir salie ? Faut-il que je rappelle certains regards, certains mots ?
Non, je ne nuancerais pas mon propos. J’ai voulu le faire en racontant l’anecdote sur le ton de l’humour à mon mec. On a eu une longue et grave discussion durant laquelle j’ai pris conscience de ce qui s’était passé. Ce n’était pas un truc rigolo, ce n’était pas un comportement que je pouvais valider, que je pouvais accepter, je m’étais fourvoyée en voulant en rire.
Non les filles, nous n’avons pas à accepter ce genre de comportement, nous ne sommes pas à la disposition de ces messieurs, notre bouche fait partie de notre corps et celui-ci nous appartient.